Les forêts



Le bois, cette richesse de nos communes, fut pendant des siècles impossible à exploiter à cause de la difficulté de son transport avant le percement de la route des Goulets. On arrivait parfois, à grand-peine, à acheminer jusqu'à la plaine quelques grandes pièces de sapin recherchées et bien payées par la marine royale. On les coupait parfois en hiver afin que la neige facilite leur descente. Quand la neige était épaisse, on coupait les arbres à un mètre ou plus du sol. Certaines souches parvenaient à émettre des rejets en forme de chandeliers que l'on appelait "sarna". Ce nom est resté à une clairière située au bout de la route forestière des Vialarets.

Les arbres étaient jetés dans des couloirs rocheux, des torrents. Beaucoup se brisaient en route, avant d'arriver à quelque rivière plus calme où il pouvaient être acheminés par flottage. Mais le plus souvent on fabriquait sur place jantes de roues, douves de tonneaux qui pouvaient prendre place sur le bât d'une mule.

La plus grande partie du bois exploité était transformée en charbon, facilement transportable à dos d'âne. Au 17e siècle, l'industrie métallurgique en dévorait des quantités fabuleuses. Chaque jour, une centaine de mulets lourdement chargés descendait par le Pas de l'Allier. Le dernier mulet de chaque caravane portait à son arrière-train un tablier de cuir sur lequel les morsures des loups n'avaient pas prise, et traînait derrière lui un fagot de buis dont les soubresauts étaient censés effrayer la meute. Le Pas de l'Allier garde encore la trace de ces innombrables convois. A force de poser leurs pieds toujours au même endroit sur le rocher glissant, les mules ont fini par l'user et la forme de leur sabot se voit encore à plusieurs endroits dans la roche. Ce nom, l'Allier, est tout simplement celui d'un arbre assez commun, l'alisier blanc aux feuilles cotonneuses, aux fruits rouges comestibles, peu savoureux mais jadis récoltés pour la nourriture humaine. On en mêlait paraît-il à la farine pour faire le pain.

De nombreux noms de lieux évoquent un arbre : le play, érable sycomore, le fay, ou fau, hêtre appelé souvent fayard, tandis que la Sambue évoque le sureau, sambucus en latin. Le charbonnage fut pendant des siècles la ressource essentielle de la population montagnarde. Beaucoup de ces charbonniers étaient clandestins : poussés par la misère, n'ayant rien à perdre, ils n'avaient cure des gardes lancés à leur poursuite.
Chaque année, 15 000 arbres étaient coupés en fraude sur le Vercors.

C'est le percement des Goulets, en apportant sur le plateau une élévation du niveau de vie, qui triompha de la délinquance forestière qu'aucune répression n'avait pu réduire. Aux 19 et 20e siècle, les charbonniers étaient souvent italiens. Beaucoup ont fait souche sur le plateau. C'est à eux que nous devons la raviole, cette originale spécialité régionale. Leur vie était rude, dans des cabanes qu'ils construisaient en plein bois près de l'aire plate et circulaire où ils construisaient leurs meules. Ces aires se voient encore dans toutes les forêts. Souvent on trouve auprès d'elles un trou rempli d'une eau boueuse, réservoir qui servait à modérer les ardeurs de la combustion. Ils y passaient tout l'été avec femmes et enfants.

Au début de ce siècle, une charbonnière, grande femme vigoureuse, rompue aux travaux les plus rudes, descendait du Bard au moulin de Tourtres où elle achetait cent kilos de farine. On lui chargeait sur les épaules ce fardeau qu'elle n'eut jamais pu soulever seule, et elle parvenait à le monter au Bard, environ 300 mètres de dénivelé et plusieurs kilomètres de distance. Ce chemin de croix était marqué de deux stations : un rocher et un souche d'arbre où elle pouvait appuyer sa charge pour reprendre son souffle. D'autres récits d'"anciens" font état des charges fabuleuses que les hommes et les femmes de cette époque étaient capables d'acheminer. Le sport existait à peine, on ne connaissait l'exploit qu'à travers le travail.

Outre les fruits, les champignons, beaucoup de menus produits venaient de la forêt: charpentes, manches d'outils, fagots de branches feuillues de frêne ou d'alisiers coupées en été et séchées afin de nourrir les chèvres en hiver. Dans les années 1930 encore, les enfants étaient chargés à l'automne, de ramasser les feuilles tombées, principalement de hêtre, afin de remplir les paillasses. Au début, chaudes et moelleuses, elles n'avaient que le défaut de bruisser à chaque mouvement indiscret! Mais à la fin de l'été ce n'étaient plus que de minces couchettes monacales aussi dures que du bois.

Les forêts communales sont une création de la Révolution. A la suite des nationalisations qui eurent lieu en 1789, le préfet de la Drôme arrêta le 1er septembre 1809 que les forêts du Vercors seraient divisées en 48 portions, dont 16 pour les communes qui se les répartirent plus tard, le reste étant partagé entre l'état et les particuliers. Il n'en était pas de même au cours des siècles précédents où l'évêque de Die, unique propriétaire des forêts du Vercors drômois, concédait des droits d'usage et d'exploitation à des communes ou à des particuliers.

Il est à noter cependant que les bois de l'Allier ont toujours été exploités uniquement par les deux communes de St Julien et St Martin qui y pratiquaient leurs coupes affouagères. Cette tradition, observée presque chaque année de nos jours, remonte au moins au 17e siècle !

D'après les statistiques de 1836, St Julien possédait 222 ha de forêts communales, et St Martin 371 ha. Actuellement les forêts de St Martin s'étendent sur 850 ha.
Jusqu'à la crise actuelle, la vente des coupes de bois était pour nos communes la plus importante source de revenus.

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